Cette fois-ci, Grantaire était sûr de lui. Autant qu'il puisse l'être, en tous cas. L'idée était parfaite, ce qui était surprenant quand on savait que c'était une idée venant de Bahorel, lequel savait être de bon conseil. Parfois. Grantaire n'avait pas oublié sa brillante idée consistant à dissimuler la poudre à canon qu'ils devaient amener à Enjolras dans des sacs de farine, et l'erreur qui s'en était ensuivie. Une épreuve qu'il n'avait pas vraiment envie de revivre.
Mais cette idée, en revanche, était un trait de génie. Bien sûr, Grantaire avait dû réunir une partie de ses économies, et il ne savait pas d'où allait venir son petit-déjeuner ces prochains jours. Mais si une paire de pantalons de daim pouvait aider Joly à reconquérir sa Musichetta, alors pourquoi ne marcherait-elle pas pour lui ? Après tout, des choses bien plus étranges s'étaient produites à Paris récement. Alors pourquoi pas voir Enjolras descendre de son piedéstal de marbre, perdre sa froideur de statue, et devenir chair et sang ? Il devait bien y avoir, sous cette cuirasse sans faille, un coeur battant au moins aussi fort que celui d'une coquette parisienne !
Grantaire entra dans la salle arrière du Musain, le pas énergique. Comme il s'y était attendu, seuls quelques-uns des membres du groupe se trouvaient là. Petitjean et Verdier au fond, à trier il ne savait quoi. Goujon près de la fenêtre, triant des tracts dont l'encre bavait déjà. Et bien sûr, assis à sa table, légèrement à l'écart, plongé dans des plans de bataille dont Grantaire ne comprenait pas grand-chose. La lumière tombant d'une des fenêtres nimbait sa tête d'un halo doré qui accentuait encore sa ressemblance avec un ange, accrochant de minuscules éclats sur les boucles folles qui dansaient dans les courants d'air.
Il leva la tête à l'approche de Grantaire, dardant sur lui des yeux si bleus et perçants que Grantaire se demanda comme à chaque fois s'il s'agissait des yeux d'un ange. Ignorant la manière dont son coeur bondissait dans sa poitrine, il prit appui du pied sur une chaise et demanda nochalamment :
- Déjà au travail, ô notre leader ?
Le tissu du pantalon se tendait le long de sa cuisse d'une manière qu'il espérait attirante. Mais Enjolras revient presque immédiatement à son travail. Sans prêter la moindre attention à ce qu'il avait devant lui.
- Tu le vois, fut la simple réponse.
Ah. Ca n'allait pas être aussi facile. Grantaire prit appui sur la table, cette fois, s'y assit même. Enjolras ne pouvait pas manquer de lever les yeux sur l'objet du délit, et cette fois-ci...
- Tu veux quelque chose ? Je suis occupé.
... cette fois-ci, toujours rien. Allons bon. Bahorel se serait-il trompé ? Mais non. On pouvait douter d'un certain nombre de choses de la part de Bahorel, mais certainement pas sur une question de vêtements. Enjolras s'accrochait simplement à ses idéaux grandioses pour ne pas s'abaisser à des choses aussi vulgairement terrestres qu'un nouveau pantalon. Et ce qu'il enveloppait, bien sûr, mais ils abordaient là des choses qu'Enjolras n'avait jamais considérées, Grantaire était prêt à parier. Mais comment le faire les considérer ? Grantaire en avait une petite idée, mais cela nécessitait une petite préparation.
- Tu devrais prendre du repos, Enjolras. Tu parais épuisé.
- Ne dis pas de sottises, fut la réponse immédiate, cinglante. Nous manquons de temps, je ne vais certainement pas en gaspiller.
- Dormir, gaspiller ? Ce n'est jamais gâcher le temps que de le passer à...
Enjolras l'arrêta d'une main levée.
- Epargne-moi ta tirade, je la connais par coeur, et je n'ai pas le temps.
- Je m'en doute, répondit Grantaire. Mais peut-être partager ton fardeau t'aiderait-il ? (Il se pencha pour prendre un papier qu'il fit semblant de consulter, bien qu'il n'y comprenne pas grand-chose. Il ne s'agissait que d'un ensemble de gribouillis.)
- Ne dérange pas mes papiers. Et puis, je ne peux le partager.
- Pourquoi pas ?
- Parce qu'il n'y a personne à qui je puis confier ces tâches.
Ah. Grantaire ignora la pique avec aisance. Voilà où il voulait arriver. Il se leva, faisant bien attention à ne pas renverser l'encrier, et s'agenouilla devant Enjolras.
- Je suis là, moi. Ordonne, je ferai tout ce que tu souhaite.
- Ce que je souhaite.
- Tout.
Grantaire mit dans son regard toute l'honnêteté qu'il pouvait réunir. Il avait travaillé le mouvement avec soin, et savait exactement quel effet il faisait. Personne ne pourrait rester de marbre, pas même Enjolras. Pas alors qu'il levait sur lui le regard le plus clair et lucide qu'il avait pu montrer depuis bien longtemps.
- Alors laisse-moi travailler. Tu me fais perdre mon temps.
Et sur ces paroles, Enjolras retourna à son travail, sans plus prêter à Grantaire la moindre intention. Celui-ci se serait senti froissé, blessé, même, par la rebuffade. Même s'il en avait l'habitude, cela ne faisait pas moins mal de se faire ainsi congédié. Mais le visage à nouveau impassible d'Enjolras, auparavant aussi pâle que l'albâtre pur, se marbrait maintenant de deux taches rouges, haut sur les pommettes. Ah. Donc le marbre de Saint-Just n'était peut-être pas aussi inaltérable qu'on le pensait... Voilà qui ouvrait à Grantaire bien des opportunités, et il comptait bien en tirer autant de profit que possible. Avec un sourire et une courbette élégante, il prit congé d'Enjolras qui ne leva pas les yeux sur lui, et quitta le Musain en sifflotant un air des plus frondeurs. La révolution était dans l'air....
A genoux devant lui - Les Misérables, Enjolras x Grantaire, canon era
Date: 2024-03-11 09:49 pm (UTC)Mais cette idée, en revanche, était un trait de génie. Bien sûr, Grantaire avait dû réunir une partie de ses économies, et il ne savait pas d'où allait venir son petit-déjeuner ces prochains jours. Mais si une paire de pantalons de daim pouvait aider Joly à reconquérir sa Musichetta, alors pourquoi ne marcherait-elle pas pour lui ? Après tout, des choses bien plus étranges s'étaient produites à Paris récement. Alors pourquoi pas voir Enjolras descendre de son piedéstal de marbre, perdre sa froideur de statue, et devenir chair et sang ? Il devait bien y avoir, sous cette cuirasse sans faille, un coeur battant au moins aussi fort que celui d'une coquette parisienne !
Grantaire entra dans la salle arrière du Musain, le pas énergique. Comme il s'y était attendu, seuls quelques-uns des membres du groupe se trouvaient là. Petitjean et Verdier au fond, à trier il ne savait quoi. Goujon près de la fenêtre, triant des tracts dont l'encre bavait déjà. Et bien sûr, assis à sa table, légèrement à l'écart, plongé dans des plans de bataille dont Grantaire ne comprenait pas grand-chose. La lumière tombant d'une des fenêtres nimbait sa tête d'un halo doré qui accentuait encore sa ressemblance avec un ange, accrochant de minuscules éclats sur les boucles folles qui dansaient dans les courants d'air.
Il leva la tête à l'approche de Grantaire, dardant sur lui des yeux si bleus et perçants que Grantaire se demanda comme à chaque fois s'il s'agissait des yeux d'un ange. Ignorant la manière dont son coeur bondissait dans sa poitrine, il prit appui du pied sur une chaise et demanda nochalamment :
- Déjà au travail, ô notre leader ?
Le tissu du pantalon se tendait le long de sa cuisse d'une manière qu'il espérait attirante. Mais Enjolras revient presque immédiatement à son travail. Sans prêter la moindre attention à ce qu'il avait devant lui.
- Tu le vois, fut la simple réponse.
Ah. Ca n'allait pas être aussi facile. Grantaire prit appui sur la table, cette fois, s'y assit même. Enjolras ne pouvait pas manquer de lever les yeux sur l'objet du délit, et cette fois-ci...
- Tu veux quelque chose ? Je suis occupé.
... cette fois-ci, toujours rien. Allons bon. Bahorel se serait-il trompé ? Mais non. On pouvait douter d'un certain nombre de choses de la part de Bahorel, mais certainement pas sur une question de vêtements. Enjolras s'accrochait simplement à ses idéaux grandioses pour ne pas s'abaisser à des choses aussi vulgairement terrestres qu'un nouveau pantalon. Et ce qu'il enveloppait, bien sûr, mais ils abordaient là des choses qu'Enjolras n'avait jamais considérées, Grantaire était prêt à parier. Mais comment le faire les considérer ? Grantaire en avait une petite idée, mais cela nécessitait une petite préparation.
- Tu devrais prendre du repos, Enjolras. Tu parais épuisé.
- Ne dis pas de sottises, fut la réponse immédiate, cinglante. Nous manquons de temps, je ne vais certainement pas en gaspiller.
- Dormir, gaspiller ? Ce n'est jamais gâcher le temps que de le passer à...
Enjolras l'arrêta d'une main levée.
- Epargne-moi ta tirade, je la connais par coeur, et je n'ai pas le temps.
- Je m'en doute, répondit Grantaire. Mais peut-être partager ton fardeau t'aiderait-il ? (Il se pencha pour prendre un papier qu'il fit semblant de consulter, bien qu'il n'y comprenne pas grand-chose. Il ne s'agissait que d'un ensemble de gribouillis.)
- Ne dérange pas mes papiers. Et puis, je ne peux le partager.
- Pourquoi pas ?
- Parce qu'il n'y a personne à qui je puis confier ces tâches.
Ah. Grantaire ignora la pique avec aisance. Voilà où il voulait arriver. Il se leva, faisant bien attention à ne pas renverser l'encrier, et s'agenouilla devant Enjolras.
- Je suis là, moi. Ordonne, je ferai tout ce que tu souhaite.
- Ce que je souhaite.
- Tout.
Grantaire mit dans son regard toute l'honnêteté qu'il pouvait réunir. Il avait travaillé le mouvement avec soin, et savait exactement quel effet il faisait. Personne ne pourrait rester de marbre, pas même Enjolras. Pas alors qu'il levait sur lui le regard le plus clair et lucide qu'il avait pu montrer depuis bien longtemps.
- Alors laisse-moi travailler. Tu me fais perdre mon temps.
Et sur ces paroles, Enjolras retourna à son travail, sans plus prêter à Grantaire la moindre intention. Celui-ci se serait senti froissé, blessé, même, par la rebuffade. Même s'il en avait l'habitude, cela ne faisait pas moins mal de se faire ainsi congédié. Mais le visage à nouveau impassible d'Enjolras, auparavant aussi pâle que l'albâtre pur, se marbrait maintenant de deux taches rouges, haut sur les pommettes. Ah. Donc le marbre de Saint-Just n'était peut-être pas aussi inaltérable qu'on le pensait... Voilà qui ouvrait à Grantaire bien des opportunités, et il comptait bien en tirer autant de profit que possible. Avec un sourire et une courbette élégante, il prit congé d'Enjolras qui ne leva pas les yeux sur lui, et quitta le Musain en sifflotant un air des plus frondeurs. La révolution était dans l'air....